vendredi 3 janvier 2014

Lu pour vous: Un article de Xavier Diatta

Xavier Diatta



Ce matin, en me levant, j'ai eu cette illusion que le Soleil serait encore plus beau, plus étincelant, plus exigeant, simplement parce que c'est la nouvelle année.
Parce que nous sommes en 2014 !!!
Et que voilà 54 ans que le Sénégal est dit indépendant.

En me regardant sur cette glace, encore en pyjama, je me dirige vers ma salle de bain. Je ramasse furtivement ma brosse à dent, mon savon, ma serviette. Avant d'ouvrir le robinet, une folle pensée me traverse l'esprit et je me suis surpris à chercher les étiquettes de l'origine de fabrication de la glace qui reflète mon image, de la boite à savon, de la serviette, du pyjama, des dessous que je porte, du lavabo, de la chasse d'eau, du carrelage, de la lampe des toilettes, de la brosse à dents, de la pâte dentifrice, de la mousse à raser, du rasoir, de mes sandales, etc.

Ma stupefaction est Grande : que des “made in China", “made in Morocco”, “made in Singapore”, “made in France”, “made in England”, “made in CE”, etc. Je me dis, qu’après tout, ce n'est qu'une salle de toilettes. J'ouvre le petit placard qui, comme pour me narguer, me révèle pour la première fois son origine : "made in China" ! J'y prends un rasoir et machinalement je me précipite sur son emballage et constate qu’il est estampillé « made in CE ». Nerveusement, je me mets à me raser et, manque de pot, je me fais une légère coupure. En prenant le petit sachet de coton, je me rends à l'évidence que lui aussi est estampillé "made in China". Le petit flacon d’alcool me vient de CE.

Une question alors me traverse l'esprit : « Le coton utilisé dans les structures sanitaires, les hôpitaux, les cliniques nous vient-il aussi de l'étranger? Si c'est le cas, nous devons être cruellement en manque de ressources humaines pour ces petits boulots de conditionnement de notre coton produit à l'Est du Sénégal. Ou alors nous sommes un peuple d'handicapés, atteints d'une des pathologies les plus lourdes pour que nous soyons sous cette permanente perfusion ! ». Mais alors, que devrais-je – à titre personnel – faire pour que la Couverture Maladie Universelle soit réellement un succès ? Peut être aussi sommes-nous un peuple d'héritiers qui n'a pas besoin de travailler, car il lui suffit d'aller faire ses courses dans les pays voisins…

Je sors de la salle de bain et m'habille, sans me départir de ce tic soudain. Tous les vêtements que j’ai mis sont aussi originaires de l'étranger. Je me dirige vers la cuisine, et je passe devant ce sapin illuminé et je me dis qu'il est inutile de vérifier, car ma petite fille et sa maman étaient le 21 Décembre dernier aux allées du Centenaire. Après avoir pris la boite d'allumettes « made in Sweeden » (The Palm Tree ), j’ai mis la théière sur la gazinière : là aussi, inutile de vérifier car ce sont des produits qui viennent de l'Etranger. Le café lui au moins me vient de la Cote d'Ivoire donc un pays de la communauté. Maigre consolation quand même…

J'ouvre le placard de la cuisine pour prendre ma tasse favorite. Voilà plus de 3 ans que j'ai cette tasse, mais pour la première fois je me surprends à vérifier les inscriptions au verso : "made in China". La boite à sucre est aussi un box en plastique « made in China », le sucre est de marque St Louis, "made in France".

Je m'assois sur la chaise (je me souviens alors que cette chaise où mon postérieur venait d’un container de meubles….) , et commence à passer en revue des yeux l'équipement de la cuisine. Je me précipite sur les bouteilles posées sur le plan de travail : huile de tournesol, vinaigre, tous importés, les boites que j'ouvre me donnent le même constat (ail, poivre, sel et autres ingrédients). A part le yett, le dakhar, le guedj, le nététou, tout le reste vient de l'étranger.

Je remue avec détachement cette petite cuillère dans la tasse, sans une réelle envie de boire ce café que je venais de me préparer. Mon regard est attiré par cette petite boite de cure-dents. Curieusement, je remarque pour la première fois qu’une étiquette est apposée sur la boite. Il y est écrit « toothpick Yiwu Shi Chao Cheng ».

Je me suis senti meurtri et blessé dans mon amour propre. Je me suis senti humilié pour mon pays. Nous ne sommes donc pas en mesure de rassembler des brindilles, de les conditionner, pour enlever les restes de nos aliments restés dans notre propre bouche ? L’étranger, avec notre complicité à tous, viole notre intimité la plus profonde.

Sommes-nous conscients que chaque centime que nous déboursons ainsi contribue à salarier une autre économie ? Sommes-nous conscients que chaque centime dépensé s’inscrit dans une politique d’emploi pour un autre pays ?

Quand je me mis à écrire, je me rends compte que le crayon me vient de Chine, le papier de la communauté européenne. Je pousse l’exercice jusqu’à prendre la boite de craie que mon épouse professeur a posé sur l’étagère du bureau, et là encore, invariablement, c’est de l’importé.

Mes chers compatriotes, j’ai suivi avec beaucoup d’attention hier le discours du Chef de l’Etat et je constate que le débat vole très haut comparé à l’argumentaire que je soumets à votre appréciation.

Je me précipite vers le document de la stratégie nationale de développement économique et social (SNDES, 2013-2017). Je ne me retrouve pas, car il y est plus question d’investissements orientés vers les importations que d’un véritable développement d’un savoir-faire qui puisse nous redonner une petite parcelle de souveraineté.

Il parait que nous allons au Club de Paris en ce début d’année. J’aurais tellement voulu y aller pour comprendre, et qui sait, peut être en serais-je revenu moins idiot.

Aujourd’hui, le Sénégal m’apparait comme un enfant à qui l’on n’a pas appris à marcher et à qui l’on a mis des prothèses pour le forcer à marcher.

Est-il tard de réapprendre à ramper pour qu’une génération puisse faire ses pas dans les décennies à venir ? Aujourd’hui, du haut de nos béquilles et de nos prothèses, nous voulons absolument participer aux Jeux Olympiques des valides.

Pour cette année 2014, je souhaite que nous prenions véritablement conscience de nos faiblesses, de nos tares, de nos insuffisances. Je souhaite que 2014 soit cette année d’introspection sans complaisance pour asseoir un véritable développement.

Je reviens d’une tournée à l’intérieur du Sénégal. Beaucoup d’asiatiques sont présents dans les contrées les plus reculées, en quête de sésame. Ils seront encore là pour l’anacarde. Ils cherchent la matière première pour leurs banques céréalières. Le paradoxe est que des pans entiers de notre économie nous échappent de cette manière inconsciente. Plusieurs milliers de tonnes vont être exportées du Sénégal dans l’indifférence totale.

Un diplomate disait que tant que le Sénégal ne régulera pas l’exportation de ses matières premières, il aura du mal à émerger. Un langage diplomatique, car la véritable formule serait plutôt « tant que le Sénégal ne se donnera pas les moyens de transformer ses matières premières, il ne connaitra jamais l’émergence ». Le développement appartient en effet aux Nations qui importent les matières premières.

C’est dommage que notre pays, qui a le potentiel pour produire une des meilleures huiles alimentaires (l’huile d’arachide), en soit réduit à se nourrir – dans l’indifférence la plus totale – avec de l’huile de tournesol, de soja et j’en passe.

Il y a 15 ans, le Sénégal avait une meilleure alimentation.

Dans un débat hier (31 décembre) sur une chaine de TV, à la suite du discours du Président, une personnalité bien en vue disait que son souhait serait que le Sénégal atteigne l’autosuffisance alimentaire pour 2014. Ce lapsus traduit l’innocence et l’insouciance qui nous caractérisent tous. L’autosuffisance est un processus. Aucune nation au monde ne peut atteindre une autosuffisance sur une seule récolte. Ce concept traduit ou résulte de la mise en place de réserves céréalières sur plusieurs années. Seules ces réserves peuvent impacter sur les prix du marché, car elles permettent de réguler l’approvisionnement.

Je souhaite pour 2014 que nous abaissions le débat. Que ce débat soit plus « comestible » pour le commun des sénégalais.
Je souhaite pour 2014 que nous fassions profil bas et que nous commencions par nous dire que nous ne savons rien faire de nos 130 Millions doigts.
Et si nous devions commencer par la salubrité de nos villes, fassions-le avec cette rigueur théorique de nos institutions de contrôles des marchés publiques, avec la cohérence d’un défilé militaire de 4 avril, avec l’éloquence de nos députés défendant les budgets d’importation de nos ministères, avec la fouge de nos étudiants ou encore avec la pertinence de nos débats quotidiens sur l’actualité judiciaire de notre pays. Au finish nous aurons le plaisir de constater qu’une réalisation vient d’être faite et que ce n’est que le début d’un long sacerdoce.

Je souhaite pour 2014 que les récoltes n’atteignent pas un niveau record : un simple accroissement de 2% suffirait amplement. Un responsable d’une grande structure d’encadrement agricole se jurait d’amener la production de riz blanc à plus de 2 millions de tonnes !

Le Président de la République, dans son discours, promet des nouveaux équipements pour booster l’agriculture.

Je souhaiterais simplement que des dispositions soient prises en amont pour ne pas mettre ce secteur en danger. Une production non maitrisée (et qui se passerait notamment de la construction de banques céréalières, de l’achat par l’Etat de la production ou de la mise en place d’un canal d’écoulement) mettrait en péril ce pseudo-équilibre « production-commercialisation ». La filière en sortirait plus affaiblie, car nous n’avons à ce jour aucune infrastructure de labellisation.

A mon humble avis, les priorités sont ailleurs. Elles sont dans la mise en place de petites unités de transformation performantes. Elles sont dans l’acquisition de brevets de fabrication et non de produits finis. Elles sont dans la mise en œuvre d’une véritable recherche scientifique. Elles sont dans la mise en œuvre d’un Acte 3 de la Décentralisation qui placerait les différents pôles d’émergence en intelligente synergie de complémentarité. Elles sont dans la promotion d’un « made in Sénégal » rationnel et pragmatique. Elles sont dans la reprise de modèles de fleurons industriels comme la SUNEOR, les ICS et j’en passe. Elles sont dans la revisite de projets comme celui qui avait mis en œuvre le premier véhicule « made in Sénégal », le « Gaindé », que les nouvelles générations n’ont pas connues.

Enfin pour 2014, je souhaite que la paix soit au cœur de toute phrase, de toute démarche, de tout acte que l’on pose, à quelque niveau que ce soit. Que les critiques soient perçues comme l’expression d’une participation citoyenne et non comme un positionnement d’adversaires pour nos dirigeants, car nos maux datent de plus de 20 ans.

Dewenati.
Xavier DIATTA
Expert Aviation Agricole

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